Déclaration préalable de G. JORON au CHSCT PN extraordinaire « suicide »
Monsieur le Directeur Général,
Depuis le début de l’année, déjà 7 collègues de plus se sont suicidés.
Nous présentons nos condoléances à leur famille, amis, proches…et plus largement à toute la communauté de travail de la Police Nationale.
Cet enchainement tragique nous réunit aujourd’hui dans le format d’un CHSCT extraordinaire afin d’évoquer le programme de mobilisation contre le suicide, son état d’avancement et les projections qui en découle.
Le sujet du suicide, nous le savons tous, est complexe et surtout il nous oblige à l’aborder de la plus digne des manières sans tomber dans des raccourcis simplistes, sans rechercher des responsabilités individuelles, ou corporatistes, mais simplement en regardant la réalité en face, sans décor et réfléchir ensemble à ce qui doit être amélioré, tenté, expérimenté pour protéger du mieux possible les agents de la police nationale.
Nous ne pouvons pas avoir d’action sur la vie personnelle des agents, mais nous savons tous qu’être policiers, c’est l’être 24h/24h et ramener très souvent une part de notre vie professionnelle à la maison avec toutes les conséquences et l’impact que l’on connait sur la sphère privée.
Nous pouvons aussi difficilement maitriser le niveau de violences et de difficultés dont font l’objet les policiers sur la voie publique, et qui génèrent aussi un stress important, une mal-être potentiel, une démoralisation dangereuse…
Le seul axe sur lequel nous avons donc le réel pouvoir d’agir est notre système interne, nos modes de fonctionnement, nos outils de prévention.
Notre constat est sans appel Monsieur le Directeur général, à ce jour, la police nationale manque d’une réelle culture de prévention, elle manque d’une culture de débriefing, elle manque de bienveillance, elle manque d’écoute, la parole n’y est pas libérée en terme de souffrance au travail pire encore elle peine à reconnaitre les victimes de RPS en règle général.
Revenons sur cette culture de prévention…
Tout est sous dimensionné, même si le programme de lutte contre le suicide est très bien construit, si nous osions le comparer à un véhicule on pourrait dire que la ligne est belle, mais sans moteur, sans roues et sans essence, on comprendra tous qu’on n’ira pas très loin avec.
Tant que la prévention et le système de soutien sera appréciée en terme de coût et non en terme d’investissement, les avancées seront limitées.
Quid du réseau de la médecine de prévention ? Totalement abandonné ou presque alors que les fonctionnaires eu égard au métier de plus en plus difficile devraient faire l’objet d’une visite régulière.
Quid du réseau SSPO, sous dimensionné également, qui malgré cela a en 2019 accompagné 9 324 agents.
Quid des sentinelles et de la formation en E-learning ? La sensibilisation aux RPS ou à la détection de spirale suicidaire ne méritent-t-elles pas de se faire en face à face pédagogique, la matière que nous malaxons est humaine, complexe, sensible…comment apprendre réellement devant un écran
Notre système ne permet pas d’être proactif, tout juste réactif et souvent malheureusement trop tardif.
La LOPMI dont l’écriture va débuter, doit servir de levier pour donner ses moyens manquants Monsieur le Directeur Général, on ne doit pas rater le train afin de permettre enfin l’obtention de moyens ambitieux pour qu’une culture de prévention partagée puisse être fortement initiée.
Aujourd’hui, faute de mieux, nous devons faire avec l’existant, personne ici n’a de baguette magique pour autant cela ne doit pas nous empêcher pas d’avoir un regard critique afin d’améliorer les outils à notre disposition.
Les CHSCT, comment est-il possible qu’à certains endroits nous devions encore demander trop souvent à ce que les 3 comités annuels obligatoires soient réunis.
La cellule de veille, combien de service ne la réunissent pas comme prévu également ?
Alors comment réellement baser une partie du programme de la lutte contre le suicide, plus largement contre les RPS, sur des outils qui ne sont mêmes pas utilisés alors qu’obligatoires.
La visite de site…le format, la pluralité de la composition des délégations d’enquête, le consensus dont l’objet la rédaction des rapports de visite nous semble être un outil fiable, équilibré.
Malheureusement, aucune norme ne vient formaliser la suite réservée à ces visites après leur exposé en CHSCT, aucune obligation de prise en compte de ce qui est conclu, ce ne sont que des préconisations qui à notre sens devraient être renforcées !
Monsieur le Directeur Général, j’attire votre attention sur le fait qu’en 2015, le Ministre de l’intérieur organisait un séminaire sur les suicides en déclarant, je cite :
« Il faut remettre l’humain au centre du débat »
En 2017, la réunion annuelle des secrétaires de CHSCT faisait état de deux faits exprimés par les agents sur les causes de mal-être :
- Le rythme de travail
- Le management et le manque de considération ressenti
En 2019, le bilan SSPO fait l’objet d’une augmentation des suivis individuels dont la demande concerne une souffrance au travail en lien avec deux problématiques récurrentes, les problèmes managériaux et les difficultés organisationnelles.
Plus que jamais, les réformes en cours, et à la lumière de ce que je viens d’évoquer, celle des cycles horaires doit se faire avec pédagogie, accompagnement et là où cela pose question une extrême prudence. Il ne faut pas sous-estimer l’impact et la réorganisation qu’imposent des changements horaires dans la vie personnelle de nos collègues.
Quant au management, il commence dès le grade de brigadier-chef, et sans stigmatiser les différents corps, la police nationale tout entière a à grandir en prenant en compte sans ambiguïté les managers toxiques, au nom tout simplement de la grande majorité qui fait ce qu’elle peut pour que notre institution fonctionne au mieux.
Pour conclure, et afin de rester positif car c’est important voire primordiale sur ce sujet,
Des choses ont été améliorés, mise en place, c’est indéniable et collectivement nous devons améliorer l’existant, et ne jamais s’arrêter de le faire.
Syndicalement, par contre sans amélioration notable, nous ne pourrons pas rester otage d’un système qui ne met pas tous les moyens nécessaires afin de lutter contre ce fléau.
Enfin, avant de vous demander de bien vouloir annexer cette déclaration préalable au PV, je terminerai en citant un ancien Ministre de l’intérieur.
« Autant il est relativement facile, avec un bon budget de moderniser le matériel, autant il est aléatoire de remobiliser un personnel trop longtemps désabusé ou découragé. »
Pierre Joxe relatant l’état de la Police Nationale en 1981…