Linda Kebbab – Les bleus à l’âme
SON ÉDITEUR trouve qu’elle a “le verbe haut et les convictions chevillées au corps”. À 38 ans, Linda Kebbab, gardienne de la paix et déléguée nationale du syndicat Force ouvrière, a fait de ses formules percutantes une signature. Au point d’être obligée de filtrer ses appels, tant son numéro de téléphone est connu des rédactions. Son discours bien rodé détonne autant que son profil : la Vaudaise volubile défend sa corporation de plateaux en plateaux, tout en pointant les défaillances d’une institution qui, selon elle, ne travaille pas assez à “rétablir l’honneur d’une police à bout de souffle”. Même si, souvent, elle a l’amère impression de se “battre contre des moulins à vent”. Tout cela lui vaut un flot de messages injurieux sur les réseaux sociaux après chaque intervention, sans pour autant la contraindre au silence, au contraire. La trentenaire sortira d’ailleurs un livre intitulé “Gardienne de la paix et de la révolte” le 7 octobre, aux éditions Stock. Un ouvrage dans lequel elle revient sur son parcours, ses coups de gueule et son quotidien, et où elle dénonce “la politique du chiffre et de la com”.
« Tant que des collègues souffriront, je serai à leurs côtés »
Linda Kebbab a toujours refusé que ses origines sociales soient un frein à ses ambitions et lui imposent un carcan. Elle balaye d’un revers de la main les critiques de ceux qui pensent qu’une jeune femme ayant grandi dans un quartier populaire ne peut incarner pleinement les forces de l’ordre. “L’institution est à l’image de la population française, défend-elle. Elle a évolué au même rythme que la société qu’elle représente”. Elle rejette aussi le terme de violences policières, au cœur des débats depuis plusieurs mois, même si elle reconnaît que tout n’est pas rose. “Il y a des gens qui subissent des maltraitances en Ehpad et en milieu hospitalier, sans pour autant qu’on utilise l’expression “violences infirmières”. Cela jetterait l’opprobre sur l’ensemble des agents de santé. C’est pareil chez nous, considère-t-elle. L’écrasante majorité des policiers ont l’envie d’aider la population, de la protéger et d’œuvrer pour le bien public, en assurant la liberté et la sécurité de chacun. Si on détruit la police, on détruit les fondements de la République et de l’état”.
Forces (et faiblesses) de l’ordre
Pour elle, policière n’a pas été une vocation, mais plutôt “un métier de conviction”. “À l’origine, je désirais être journaliste. Je voulais être d’utilité publique, comme mon père, éboueur à la Courly, et ma mère, active dans le milieu associatif”, confie Linda Kebbab, qui a grandi chemin des Maraîchers. Jeune, elle a eu peu de contacts avec les uniformes, mais se souvient de l’émoi ressenti en 1990, au moment du décès de Thomas Claudio. Elle se remémore les discussions avec les instituteurs de l’école Gagarine, “des professeurs fabuleux qui nous ont appris à réfléchir par nous-même après cette affaire tragique”. Elle se rappelle aussi la conseillère d’orientation du collège Barbusse qui lui a déconseillé de passer un bac littéraire parce que ses parents, ne sachant ni lire, ni écrire, n’auraient pas pu l’accompagner dans un tel cursus. La jeune fille a déjà une volonté de fer : elle décroche tout de même ce diplôme (option russe et arabe), puis abandonne l’idée de poursuivre des études supérieures. Non pas par choix, mais pour subvenir aux besoins de sa famille, au décès de ses parents. Un jour, elle croise une patrouille en intervention, échange avec les agents et démystifie cette profession. “Je me suis dit que je n’avais pas besoin de courir le monde pour être utile”. En 2006, après un an d’école à Fos-sur-Mer, elle commence en brigade police secours, dans le Val-de-Marne. Elle y reste sept ans, avant de devenir déléguée syndicale de l’hôtel de police de Créteil. Frôlant le burn-out, elle intègre ensuite un service central de la Préfecture de police de Paris. Puis, à l’appel d’Yves Lefebvre, patron de l’Unité SGP Police FO, elle rempile dans le syndicalisme et intègre le bureau national, devenant l’une des porte-paroles les plus médiatiques pendant le mouvement des Gilets jaunes et les manifestations contre les pratiques brutales des forces de l’ordre. Celle qui “incarne une nouvelle génération” selon les commentateurs et se considère elle-même comme “une lanceuse d’alerte” a un peu le mal du terrain depuis qu’elle en est dispensée, mais elle s’est fait une raison. “Un jour, j’y retournerai, mais pour le moment, ma mission a vraiment du sens, assure Linda Kebbab. Tant qu’on n’arrivera pas à décrocher une amélioration probante des conditions de travail et tant que des collègues souffriront, je serai à leurs côtés”.