Pour les sans-grade de la police, une progression de carrière qui s’apparente à un « parcours du combattant »
Pour les sans-grade de la police, une progression de carrière qui s’apparente à un « parcours du combattant »
Cause de frustration au sein de l’institution, le système de promotion interne reste verrouillé pour les fonctionnaires subalternes.
C’est le Père Ubu en uniforme bleu marine, un ensemble de règles kafkaïennes dans lesquelles le très aride protocole corps et carrières d’avril 2016, fleuron de la littérature ministérielle, reconnaît lui même l’une des causes du malaise de l’institution : un système d’avancement des grades subalternes de la police nationale qui génère « engorgement des parcours de carrière » et « sentiment d’absence de perspectives ».
Pour saisir les subtilités de ce dispositif cadenassé, il faut d’abord se frayer un difficile chemin à travers un sabir technocratique ponctué d’acronymes, de sigles, d’abréviations et de pourcentages, à commencer par le taux d’encadrement, c’est-à-dire la répartition des effectifs pour chaque grade, fixée par des textes officiels.
Ainsi, les différents grades d’officiers et de commissaires connaissent-ils une distribution équilibrée (40 % de lieutenants et capitaines, autant de commandants et 20 % de commandants divisionnaires ; une proportion identique pour les commissaires, commissaires divisionnaires et échelons supérieurs). Ce quota garantit une progression de carrière relativement linéaire, d’autant qu’elle est fondée sur un avancement quasi automatique à l’ancienneté, sauf incident de parcours.
Les grades subalternes sont en revanche répartis sur le modèle d’une pyramide dont la base serait formée par les gardiens de la paix et brigadiers (75 %), l’étage supérieur les brigadiers-chefs (17 %) et le sommet, les majors (8 %). Chacun de ces taux étant figé, la progression de carrière de ces fonctionnaires se révèle rien moins que difficile, voire impossible dans certains cas.
« L’administration est aveugle »
Pour corser encore l’exercice, la promotion d’un agent du corps d’encadrement et d’application, qui regroupe les grades les moins élevés de la police – gardiens de la paix et brigadiers, brigadiers-chefs, majors –, ne dépend pas seulement d’un contingentement limité. Elle ne peut avoir lieu qu’à une triple condition : une validation par un examen ou la reconnaissance d’acquis professionnels, l’ouverture d’un poste au grade visé et un changement d’emploi ou, souvent, de secteur géographique. « Autrement dit, c’est le parcours du combattant, explique Guy Dallier, secrétaire national au paritarisme du syndicat Unité SGP Police-FO. Un excellent brigadier-chef qui donne satisfaction dans son emploi peut espérer devenir major uniquement s’il accepte la mobilité ou un changement d’unité. »
Encore faut-il, c’est la deuxième lame de la guillotine à promotions, qu’un poste soit disponible. Or, ceux-ci sont limitativement énumérés dans une liste annuelle qui tient compte des plafonds de taux pour chaque grade et dans chaque unité. En 2021, par exemple, tout recrutement sera impossible au groupe interministériel de recherches de Bastia ou à la direction départementale de la sécurité publique de l’Aisne, ceux-ci ayant atteint leurs taux maximaux d’encadrement pour chaque grade.
« L’administration est aveugle, poursuit M. Dallier : elle ouvre et ferme des recrutements non en fonction des besoins réels sur le terrain mais de pourcentages définis par la technostructure. » Conséquence : en 2020, 112 brigadiers ont renoncé à tout avancement, dans la plupart des cas en raison d’une affectation future trop éloignée géographiquement ou sans rapport avec leurs qualifications.
Dernier couperet, deux refus de poste entraînent pour le policier la perte de son examen professionnel. Tout est à recommencer. « En clair, tout est fait pour décourager l’avancement, se désole un brigadier de la région parisienne. Et les collègues végètent pendant des années sans aucune perspective de s’élever. »
Depuis l’annonce du Beauvau de la sécurité, dont le coup d’envoi a été donné lundi 25 janvier − la prochaine réunion est prévue le 8 février −, les syndicats majoritairement représentés chez les gardiens de la paix et les gradés espèrent un « décloisonnement » du taux d’encadrement. Pour remettre en route, disent-ils, un ascenseur social en panne, dans la police aussi.