Lu pour vous / Contrôles aux frontières: des gardes vont remplacer les policiers
Bibia Dergham, Secrétaire Régionale répond au Parisien.
Le ministère de l’Intérieur va recruter d’ici à fin 2024 1 300 gardes-frontières, qui seront en binôme avec les policiers. Un syndicat de police s’inquiète d’une baisse de la qualité des contrôles.
Ils sont en première ligne, exerçant une des missions les plus régaliennes : le contrôle des frontières françaises. Mais les policiers de la PAF, la police aux frontières, vont désormais devoir partager leurs « aubettes » avec des non-policiers. Depuis l’été dernier, et jusqu’à fin 2024, le ministère de l’Intérieur a prévu de recruter près de 1 300 gardes-frontières, qui seront en charge du contrôle des passeports dans les ports ou les aéroports.
L’objectif de cette campagne d’embauche est double. D’abord, il s’agit d’assurer la fluidité des passages de frontières en vue de la Coupe du monde de rugby et des JO 2024. Ensuite, de répondre à l’objectif d’Emmanuel Macron de doubler le nombre de policiers sur le terrain d’ici 2030, en les soulageant de tâches considérées comme indues.
« Avec la baisse du nombre de passagers liée à la pandémie de Covid, l’érosion naturelle des effectifs de la police aux frontières n’a pas été compensée », reconnaît Fabrice Gardon, le directeur central de la police aux frontières (DCPAF). Il s’agit donc, numériquement, de revenir à la situation de 2019, et même d’aller au-delà, en prévision par exemple de l’accroissement du trafic aérien.
Limiter le temps d’attente
Dans le même temps, l’État se doit de respecter les préconisations européennes, qui stipulent qu’un passager de l’Union ne doit pas attendre plus de trente minutes aux frontières, et un passager hors Union plus de 45 minutes. « Il en va aussi de l’image de la France », précise Fabrice Gardon, conscient que cette image peut être écornée lorsque l’arrivée simultanée de gros-porteurs entraîne une attente anormale. Une impatience des passagers souvent exacerbée à la vue d’« aubettes » parfois vides de tout policier. À terme, l’administration souhaite donc que l’ensemble des 250 « postes de travail » de la PAF dans les aéroports d’Orly et Roissy soient pourvus, et compte sur ces nouveaux gardes-frontières pour y parvenir.
Deux filières d’embauche ont été définies. Les recrues — exemptes de tout concours — pourront avoir un statut de fonctionnaire de catégorie C. Dans ce cas, cela signifie qu’elles inscriront leur objectif de carrière dans l’administration. Il pourra aussi s’agir de contractuels, embauchés pour une durée de trois ans. Sur le papier, le candidat doit disposer d’un véhicule et maîtriser l’anglais de base. Surtout, il doit avoir un casier judiciaire vierge, et son nom ne doit pas apparaître dans les fichiers policiers. « Il y a également un entretien qui sera sélectif, complète le DCPAF. Il vise à s’assurer du savoir-être de l’intéressé et de sa manière de s’exprimer. »
« Un risque réel de baisse de la qualité des contrôles »
Les premières candidatures montrent une large variété de profils et d’âges. Une fois retenus, les nouveaux gardes-frontières bénéficient d’une formation de deux semaines avant leur prise de poste. Une trentaine d’entre eux est déjà en activité depuis l’été 2022 à l’aéroport de Roissy, et une soixantaine dans le secteur de Calais, au port ou à l’embarquement Eurotunnel. « Vu le marché de local de l’emploi, il y a eu des centaines de demandes », détaille un policier en poste dans le Pas-de-Calais. Le même ajoute que « certains de ces profils sont intéressants », et que « les choses se passent plutôt bien ».
Cela n’atténue pas les inquiétudes des gardiens de la paix, comme de leurs syndicats. « Il y a un risque réel de baisse de la qualité des contrôles », dénonce ainsi Bibia Dergham, secrétaire régionale en charge des services centraux de la police pour le syndicat Unité-SGP-FO. Car ces derniers demandent une technicité certaine. « L’humain et l’expérience sont essentiels, pointe Bibia Dergham. Par exemple, vous pouvez avoir un individu avec de vrais papiers obtenus de manière indue à l’aide de faux certificats de naissance. Seuls l’instinct policier et des questions orientées peuvent permettre de le confondre. »
La réglementation des visas, par exemple, reste éminemment complexe, avec des codes spécifiques ou des délais se cumulant d’un pays à l’autre, qu’il faut savoir évaluer. « Les faussaires sont de plus en plus calés, poursuit la syndicaliste. »
« Il faut aussi voir que les contextes locaux sont différents, relève pour sa part un fonctionnaire de police affecté à la gare du Nord. Si le recrutement de ces gardes-frontières peut fonctionner à Calais, il y aura forcément un nivellement par le bas pour ce qui est de l’Île-de-France. Quels candidats pourrons-nous recruter avec les salaires proposés pour des horaires aussi décalés ? »
Les fiches de poste prévoient le smic + 20 %, soit 1 654 euros net en province et 1 777 euros en Île-de-France. Les vacations de 12 heures se feront en cycles, qui laisseront par exemple la possibilité de bénéficier d’un mercredi et d’un week-end sur deux. « Ça peut être intéressant pour des personnes ayant des enfants en garde alternée », veut-on croire à la DCPAF, où l’on précise par ailleurs que ces gardes-frontières n’auront pas accès aux fichiers de police.
Une formation de deux semaines
« Si leur formation ne dure que deux semaines, elle reste pointue, développe Fabrice Gardon. Et leur rôle sera uniquement de passer les passeports dans la machine dédiée. » À partir de là, soit le passager est autorisé à passer, soit le système détecte un problème, comme ce fut le cas l’année dernière pour 78 000 personnes. « Le garde-frontière sollicite alors le gardien de la paix qui le supervise, poursuit le DCPAF. Ils seront obligatoirement en binôme. » Cela ne suffit pas à rassurer les syndicats. « Les points de passage frontières vont être fragilisés, anticipe Bibia Dergham. Surtout Roissy, qui concentre les arrivées des pays tiers. »
Se posera enfin la question de la fidélisation de ces nouvelles équipes. À Calais, certains gardes-frontières ont ainsi jeté l’éponge au bout de quelques mois. « Il faut alors reconvoquer de nouveaux entrants, soupire un policier, puis les former et les intégrer. Au final, ça complique les choses plus que ça ne les simplifie. » Fabrice Gardon, lui, se dit persuadé que l’opération suscitera des vocations pérennes. « Je ne doute pas qu’ils seront fiers d’être en première ligne, dans cette fonction régalienne qui est très valorisante. » /
Nicolas Jacquard / Le Parisien