Reconstruire pas à pas, redonner une vraie place au policier dans la société
Secrétaire national du syndicat Unité SGP Police-FSMI-FO, Grégory Joron plaide pour une « occupation du terrain apaisée » et dénonce la culture du chiffre et de l’intervention au sein de la police, qui distend le lien avec la population.
La justice a ouvert une enquête après une suspicion de tir de Flash-Ball ou de LBD mortel à Marseille, un autre cas fait l’objet d’une enquête à Mont-Saint-Martin, en Meurthe-et-Moselle. Était-ce prévisible ?
Près de 6 000 véhicules brûlés, plus de 1 000 bâtiments dégradés, 250 commissariats, gendarmeries ou bureaux de police municipale attaqués, plus de 700 policiers blessés : oui, c’était prévisible et je pense que, dans n’importe quel pays, cela aurait été bien plus dramatique. Mes collègues ont fait preuve d’un courage et d’un sang-froid extraordinaires face à des situations d’une extrême violence.
Le plus fort de la tension est passé, mais est-ce vraiment la fin des affrontements ?
Je n’en suis pas certain : le 14 Juillet arrive et, avec le 31 décembre, c’est la nuit la plus compliquée de l’année pour les forces de l’ordre. L’intensité de la séquence va marquer durablement les effectifs. Une fois qu’on aura passé la crise des quartiers, j’ai bien peur d’assister à celle de la police : les propos de certains politiques ont laissé des traces…
À l’origine de ces émeutes, il y a la mort d’un homme au cours d’un contrôle routier, treizième victime de 2023. N’est-il pas urgent de repenser la loi, la formation des policiers ?
Toutes les réflexions sont bonnes à mener si ça peut éviter d’avoir des drames humains et que des policiers finissent leur journée en prison alors qu’ils l’ont commencée comme pères de famille avant de revêtir leur uniforme. On doit peut-être aussi réfléchir à notre vision opérationnelle du contrôle de véhicule.
Ne faut-il pas repenser les fonctions d’une police de plus en plus marquée par la culture de l’intervention ?
Dans certains quartiers, la seule représentation du service public de la police, ce sont en effet des collègues qui interviennent et repartent comme ils sont venus, sans aucun lien local ou presque avec la population. Il faut revenir à une occupation du terrain apaisée, ne plus être équipés comme des porte-avions et progresser en colonne parce qu’on risque de prendre une machine à laver jetée d’un étage ou d’être pris à partie par des cocktails Molotov. Quand on arrivera à reprendre le terrain de cette manière-là, on aura déjà franchi un grand pas.
Ce n’est pas pour demain…
Il y a vingt ans, il y avait un bureau de police ouvert pratiquement dans chaque quartier et tenu par deux ou trois fonctionnaires qui ne craignaient pas grand-chose. Quasiment toutes ces emprises ont été abandonnées. On peut faire le chemin inverse, mais on a mis près de deux décennies à tout détricoter, il faudra autant de temps pour reconstruire pas à pas, redonner une vraie place au policier dans la société et dans la cité, qu’il redevienne gardien de la paix et plus seulement membre des forces de l’ordre. Contrairement à une idée reçue, les policiers sont partisans de cette vision.
Le problème de la police, ce ne sont pas les syndicats ?
Les vrais problèmes, ce sont plutôt les réflexes de l’institution, le manque de transparence, la question de la formation, celle de la posture opérationnelle, des contrôles. Notre réalité, c’est qu’un policier de terrain est jugé sur quelques items comme le nombre de personnes contrôlées ou de timbres-amendes délivrés. Quand le ministre annonce qu’il faut mettre en place des opérations anti-rodéos, des notes de service expliquent dès le lendemain qu’il faut faire tant de PV et tant de contrôles. Cette culture du chiffre est complètement incompatible avec la qualité du service rendu et le sens de la mission. Mettre des millions dans la police nationale, c’est très utile. Mais ce qui compte, c’est ce qu’on fait tous les jours et pourquoi on le fait.
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